mardi 17 juillet 2012

Le début de la fin

Ca a commencé début juillet par le départ de Yuting, la Taïwanaise du dorm. Ou peut-être même avant, avec la réunion de fin de semestre de Waseda ? Ca s'est continué dans les semaines qui ont suivi par la soirée d'adieu du club international Niji no Kai. Ca va se poursuivre demain par la soirée d'adieu du club de karaté, puis le week-end d'après avec un dernier nomikai avec plusieurs sempai. C'est le début de la fin.

Le ciel grandiose vu depuis la cuisine, ce soir

En fait, il ne me reste plus qu'un mois au Japon. Les cours se terminent dans 10 jours à Waseda, ce qui rime avec partiels et rapports à rendre. Ca, c'est vraiment pas la partie la plus marrante du semestre, ce qui me laisse avec une motivation médiocre s'ajoutant à un moral en berne. Tous ceux qui finissent leur année d'échange cet été sont d'accord : on a hâte que l'université se finisse, mais on aimerait rester plus longtemps ici.

L'été est revenu pour de bon. Le ciel est bleu, exceptés les nuages diffus qui emplissent l'horizon et cachent le cône du mont Fuji, le soleil tape et il fait chaud, très chaud. L'humidité assassine est ressortie de son trou et transforme toute escapade hors d'un espace climatisé en une épreuve du combattant. Près des gares, des grands carrefours et du campus, les larbins passant leurs journées à distribuer des flyers, véritable lumpen-proletariat japonais qui n'est dépassé dans la médiocrité de l'emploi que par les teneurs de pancartes, recommencent à offrir le salut aux passants sous la forme d'un bout de carton et d'une tige de plastique, c'est-à-dire des éventails publicitaires qui vous donnent une sensation de fraîcheur quand tout le reste a échoué. Bien heureusement, j'ai l'impression de mieux tenir la chaleur humide qu'auparavant (ou alors, j'ai trouvé les bonnes techniques à employer...)

Seules les cigales manquent encore à l'appel. Je suis un peu nostalgique de leur vacarme, mais je suppose qu'elles recommenceront à chanter sous peu.

Bien sûr, il me reste encore un paquet de choses à faire avant de quitter le Japon. Suivant le conseil d'un des responsables des étudiants d'échange à Waseda, je compte bien les réaliser très vite, presque au détriment du reste. J'ai commencé la liste en faisant un tour avec ma copine à Disney Sea du côté de Chiba - ce qui est une destination très populaire auprès des étudiants japonais, étonnamment -, et je vais continuer dans mon élan en partant grimper le mont Fuji ce week-end, puis en allant faire le mono dans un camp d'anglais au contact de Dame Nature avec des collégiens japonais. Après ça, je mettrai le cap sur le Tôhoku avec Sendai, Akita, Morioka, Hirosaki, le Nebuta matsuri d'Aomori toussa toussa. Et enfin, ce sera en mode tente et sac-à-dos que je vais finir mon grand voyage, grimpant les sommets du Nord-est japonais tel un vieux routard en quête de levers de soleil. J'espère bien voir quelques tengu et kappa en cours de route.

Mais avant ça, encore faudrait-il que je finisse d'écrire mes rapports.

dimanche 15 juillet 2012

A l'Ecole de l'Ultime Vérité

J'ai évoqué à plusieurs reprises mon club de karaté dans ce blog, sans pourtant fournir plus d'informations ni entrer dans les détails. Vous pensez que j'ai abandonné ? Bien au contraire.

Hein ?! Chevreuil évolue ! Félicitations ! Votre Chevreuil 12e kyû a évolué en Chevreuil 9e kyû !
Mais là où je vous pouille le cerveau, c'est que cette image est déjà obsolète. J'ai obtenu la ceinture orange en mars dernier, et j'ai passé l'examen de passage en ceinture bleue pas plus tard que le week-end dernier. Avec deux entraînements par semaine, je m'avance pas à pas sur la longue voie que j'ai découverte quasiment pas hasard... Venez, je vous emmène le temps d'un article dans mon dôjô où résonnent les kiai des combattants dans le froissement des manches des dôgi, où la sueur coule et les remerciements suivent les coups de tatane. Déchaussez-vous avant de monter sur le tatami et saluez avant de faire un pas de plus, car si la playliste joue du Lionel Richie ou même du Queen, vous entrez dans un espace sacré où les traditions venues des siècles passés font loi. OSU !



Jouez l'une ou l'autre des vidéos, étirez-vous et mettez-vous dans l'ambiance. Prenez votre temps pour parcourir cet article au son de la musique, l'entraînement libre se fait à son propre rythme.

Avant d'aller plus loin, sachez qu'il y a karaté et karaté. Ce n'est pas une école de combat monolithique comme le judo par exemple, mais plutôt un genre parcouru par plusieurs tendances. Si le shôtôkan est le style le plus répandu, et sans celui où vous avez pu vous même casser quelques briques en France, c'est dans le style kyokushin - "L'Ultime Vérité" - que je me suis engagé. Sa particularité ? Le full contact et la recherche de situation de combat réelles - même si quand il s'agit de la tête, seuls les coups de pied sont autorisés. Les kata (enchaînements de mouvements retranscrivant un affrontement contre une horde d'ennemis imaginaires) sont réduites au minimum tandis que les protections ne sont guère usées que pendant les entraînements. Pas de chichis : tout est dans la puissance des techniques pour achever le combat en un coup. Une attaque, une victoire.

A titre d'exemple, le combattant à droite est sur le point de se faire mettre K.O (ippon) par un bel ushiro mawashigeri - coup de pied circulaire retourné qui envoie valser l'adversaire dans le décor. Comme le dirait Ken : "Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort !"

Mais attention, le karaté kyokushin est loin d'être un sport de brute où seule la force compte. Au contraire, tout est dans la technique. Il y a tout un champ de paramètres à prendre en compte dans un combat, incluant les façons d'attaquer sans subir de dommages en retour, le jeu primordial des parades et contre-attaques, les feintes, la gestion de l'instant et plus largement de l'esprit général du kumite - c'est-à-dire le duel. Mon Maître aime à répéter que le kumite n'est pas une bagarre, mais une discussion. Tout comme lorsque l'on demande "Comment allez-vous ?", on répond "Très bien, et vous ?", on bloque un low kick en relevant la jambe concernée et on contre-attaque selon un jeu de possibilités dont il faut choisir l'élément le mieux approprié, ce qui doit être un automatisme. Comme un débat où les arguments fusent, un kumite va vite, très vite, ce qui est très fatiguant et demande aux deux combattants d'être volubiles et d'avoir de l'éloquence. Une manche de kumite dure 1 minute dans les entraînements, et pour ce qui est des compétitions internationales, le round doit durer 3 minutes... ce qui laisse les deux parties sur les rotules, si l'un ne s'est pas fait allonger avant.

Vous vous en doutez bien, le kumite n'est qu'une partie de l'entraînement. Sa partie finale, en fait. Les séances s'ouvrent par un échauffement collectif complété par la répétition des mouvements de base (ce qui donne parfois l'impression d'être dans Tekken), en commençant par les poings puis les pieds, et enfin en combinant les deux tout en se mouvant. Une fois qu'on est bien chauds et suants, on s'attaque aux exercices en binôme avec les coussins d'entraînement, puis avec gants et protège-tibias. C'est à ce moment qu'on nous enseigne de nouvelles techniques, de nouvelles parades, de nouveaux enchaînements à assimiler, etc. Puis on effectue un tour de kumite, on se salue mutuellement pour clore la séance, et c'est entraînement libre.

 En passant, dans la série de jeux vidéos Tekken, Jin Kazama se bat avec un style Kyokushin. Il vous fait même un beau kata pour vous prouver que c'est vrai.


Mais comment me suis-je retrouvé dans ce club déjà ? Un peu par hasard.

Remontons le temps jusqu'en octobre. Waseda venait de commencer, les cigales chantaient encore, c'était la fête tout ça, et j'étais à la recherche d'un club universitaire à rejoindre. J'avais été bluffé par pas mal de représentations sur le campus et beaucoup d'activités me semblaient génialissimes (vu qu'il y a à peu près des clubs pour tout et n'importe quoi), mais je voulais commencer quelque chose que je pourrais continuer par la suite. J'ai donc fait une croix sur le club de l'ouffisime et traditionnelle danse yosakoi pour m'orienter sur quelque chose de plus universel, mais toujours japonais. Et c'est là que le RA (Resident Assistant) japonais du dorm venait de rejoindre un club de karaté foreigner-friendly de Waseda, y invitant dans la foulée ma copine (qui fait du karaté depuis plusieurs années) qui recherchait un endroit où pratiquer. J'en ai donc profité pour l'accompagner, et j'ai accroché.

Banzaaa~i !

Je ne cacherai pas que les débuts ont été un peu difficiles. Je m'en suis certes limité aux cours pour débutants au commencement, mais ceux qui ont eu l'honneur d'avoir des cours de gym avec moi à l'école doivent se rappeler ma raideur légendaire. Du coup, pas mal de techniques qui rendaient sacrément bien sur les autres ne ressemblaient plus à rien quand je les exécutais. C'est ça d'être un bleu ! J'ai donc vraiment tout appris de zéro, apprenant à la fois comment frapper... et comment prendre des coups. Eh oui, il n'y a rien de meilleur pour vous faire prendre conscience que la garde est mauvaise qu'en frappant dedans plusieurs fois de suite, que ce soit la cuisse ou la tête.

C'est aussi durant ces premiers entraînements que j'ai ressenti le phénomène d'uchi/soto (intérieur/extérieur) qui existe partout, mais qui est particulièrement institutionnalisé au Japon. Quand on se ramène dans un groupe déjà formé et qu'en plus on est étranger - ce qui dresse dès le départ une bonne barrière linguistique - on a tendance à être laissé dans son coin tandis que les Japonais rigolent entre eux. Cela a duré pendant quelques semaines, jusqu'à ce que le côté linguistique passe déjà mieux (ie qu'on se rende compte qu'on peut communiquer en Japonais) et surtout, que j'achète mon dôgi (ce qui prouva mon engagement dans la communauté). Dès lors, c'est allé comme sur des roulettes. Les membres du dôjô sont des gens charmants qui ne manquent pas de patience avec moi et n'hésitent pas à corriger les problèmes que je puisse avoir. Je pense tout particulièrement à M. Tamura, un ancien du club s'étant frotté au karaté durant sa scolarité à Waseda dans les années 1970, qui revient à l'entraînement des débutants tous les vendredis soir dans le seul but de donner des conseils et du soutien aux jeunes qui en ont besoin.

Ne soyez pas timides, ce sont les sempai qui invitent !

Pourquoi tant de prévenance ? Parce que c'est mon sempai et que je suis son kôhai, l'aîné offrant aide et assistance (et invitant à dîner) tandis que le cadet lui montre en retour respect et obéissance (et paiera sa dette en invitant ses propres kôhai à dîner, dans le futur). Quand on entre dans un club universitaire, c'est tout le réseau relationnel et professionnel des anciens (les O.B. pour old boys) qui s'ouvre à vous et qui n'hésitera pas à vous donner un coup de pouce si vous en avez besoin - ou vous présenter le Japon si vous êtes étudiant d'échange. Souvenez-vous, c'est lors d'un dîner avec les anciens que j'ai rencontré M. Tsumura, qui m'a emmené un peu partout et par le biais duquel j'ai rencontré M. Mineno, qui m'a invité au tournoi de catch et à plusieurs nomikai par la suite. Ce réseau est bien sûr très utile pour réseauter, ce dont certains ne se privent pas, mais c'est aussi l'un des seuls moyens d'être en contact avec des Japonais plongés dans le monde du travail et de découvrir une autre face du Japon que sa vie étudiante.

On a souvent l'image en France - et à très juste raison - que les notions de respect et d'humilité sont véhiculées par les arts martiaux japonais. Mais ce qui semble limite extraordinaire en Europe ne l'est pas ici : le respect du maître et de l'adversaire n'est pas plus affectée dans le dôjô qu'ailleurs, parce que c'est quelque chose de naturel dans la culture Japonaise. Ne vous attendez pas non plus à ce que les élèves soient transformés en larbins par leurs supérieurs ou qu'ils leur lèchent spontanément les pieds, parce que personne n'a rien à se prouver ni dans un sens, ni dans l'autre. Au final, le dôjô est un peu comme une famille : les débutants y sont les nouveaux-nés qu'il faut éduquer avec patience, à qui il faut apprendre à marcher, à parler et à se comporter (ce à quoi tout le monde y met du sien) tandis que les ceintures plus élevées sont les grands frères, et enfin le Maître est le padre ou la mama du foyer.

Photo de famille avec certains des membres du dôjô. Notons que quelques ceintures ont changé depuis

En parlant du Maître, sachez que je n'ai pas atterri dans le dôjô de n'importe qui. Car si chaque enseignant de karaté est une grosse pointure, le mien sort tout bonnement de l'ordinaire. Non pas sensei, mais shihan, il se nomme Akira Masuda et s'illustre comme une grande figure de la scène pas seulement japonaise du karaté, mais internationale.


Je ne vais pas vous faire la liste de tout ce qu'il a fait et accompli jusqu'à présent, car cela pourrait prendre tout un article. Sachez juste qu'il a remporté le 22e All Japan Kyokushin Tournament en 1990 avant d'arriver deuxième au 5e World Karate Tournament en 1991. La même année, il a accompli avec succès et sous la supervision du fondateur du kyokushin, Mas Oyama, l'épreuve du plus haut niveau de la discipline : le Kumite des 100 hommes. Il s'agit, comme son nom l'indique, d'un kumite dans lequel le participant affronte durant 100 rounds à la suite des combattants de rang égal ou supérieur, ce qui fait autant de duels d'à peu près 1:30-2:00. Vous vous en doutez, il s'agit du test ultime dont il a été le 11e à triompher - à ce jour, moins d'une vingtaine de personnes dans le monde ont remporté cette épreuve. Ca force le respect. A titre d'exemple, l'examen pour la ceinture noire inclut un kumite de 10 hommes "seulement"...

Le créateur du karaté Kyokushin, Mas Oyama, n'a pas seulement triomphé avec brio du Kumite des 100 hommes, mais il l'a fait trois fois de suite sur trois jours consécutifs. Il se dit qu'il mettait ses techniques de combat à l'épreuve en affrontant des taureaux à mains nues. Sur les 52 bovins qu'il a eus pour opposants, 3 furent tués en un seul coup. Bonhomme.

Là où le shihan se démarque d'autant plus des autres combattants, c'est qu'il est en train de développer un nouveau style de combat : le karaté freestyle. Englobant le kyokushin "classique", il y ajoute tout un panel de prises au cou, de projections au sol et de techniques d'immobilisation/délivrance tirées de divers autres arts martiaux. Pour mieux vous faire une idée, prenez un jeu de combat tel que Tekken, tirez-en les meilleures techniques de chaque personnage et assemblez-les dans un style cohérent sous une dominante karaté : vous voilà avec le karaté freestyle.
Ne croyez pas qu'il ait décidé de développer ce style sur un coup de tête, ni que sa motivation soit une simple amélioration du kyokushin. Comme tous les arts martiaux, il s'inscrit dans une pensée bien précise qui est ici l'internationalisation. Ce que le shihan veut accomplir, ce n'est pas moins que le rapprochement des peuples. Convaincu qu'il y existe une nature humaine commune, il veut établir par le sport un moyen de communication universel reliant tous ses pratiquants dans un climat de respect mutuel et de confiance, dépassant les barrières de la langue et de la culture. Comme je l'ai dit écrit plus haut, le kyokushin ne professe pas tant le combat que le dialogue.

C'est ainsi que je suis devenu, sans vraiment le savoir ni m'y attendre, un émissaire du karaté freestyle dont j'ai appris les bases. Mais que m'a apporté mon engagement dans le club, demandez-vous ? Énormément. Tout d'abord, une nouvelle passion, celle de la recherche du mouvement juste, à la fois agréable à voir et efficace à l'impact. Cela va de pair avec une bonne prise de confiance en soi et le sentiment que si je me retrouvais un jour dans une situation très délicate, je saurais m'en sortir. Ensuite, la découverte d'un autre pan de la culture japonaise, celle des clubs et dôjô et des relations entre adultes, ce qui m'a aussi permis d'être plongé dans un environnement entièrement japonais pour pouvoir pratiquer la langue et m'améliorer. Et enfin, j'ai rencontré des personnes fabuleuses avec qui j'ai passé de très bons moments à m'entraîner, ce qui n'est pas la moindre des choses !



Le héros de ce qui aurait pu être un bon manga avait l'habitude de dire que "la voie est longue et sans raccourci". C'est tout autant vrai pour les ninjas que pour les karatékas car je ne suis encore qu'au commencement du commencement, toutes les ceintures de couleur n'étant que les grades des aspirants... La ceinture noire elle-même, couplée avec le premier dan, n'est encore que la véritable ceinture des débutants. Telle est la Voie de la Main Vide sur laquelle je m'engage...

Un jour, je pourrai le faire moi aussi.


A propos de l'IBMA et du freestyle karate : ici (anglais)
A propos du dôjô de shihan Masuda :   (japonais)
A propos du club de karaté "Sôdaikyokushinkai" de Waseda : là-bas  (japonais)